圖書名稱:Histoire et évolution des mentalités des juridictions internationales concernant la protection des populations minoritaires: Création puis Effondrement de la Yougoslavie comme laboratoire de la Cour pénale internationale
作者序
Dès le début, il convient de préciser que ce travail de recherche s’inscrit dans ce que Robert Badinter appelle la paix par le droit.
Le temps historique peut être envisagé selon deux approches : linéaire ou circulaire, amenant pour ceux qui défendent la première, notamment en Occident, une sortie de l’Histoire, tandis que les seconds croient à un retour en arrière et à une tectonique des failles du passé. L’implosion de la Yougoslavie et de l’URSS n’en finissent pas de provoquer des répliques en Europe, qu’elles proviennent des frontières contemporaines ou antiques. Les guerres de Yougoslavie, dans les années 1990, ont brutalement réveillé une Europe figée par la guerre froide et la pacification organisée par l’Union européenne. Nous nous inscrirons dans ce contexte historique, cadre d’avancées juridiques.
Le XIXe siècle est celui de la fin des empires multiethniques et de l’émancipation des États dits nationaux. Ce que la politique a construit au XIXe, qui se termine en 1918 avec la fin de la Première Guerre mondiale, le XXe siècle a pour objectif de le maintenir et de le pacifier par le droit. L’Europe centrale, qui voit se juxtaposer des ethnies, des langues et des religions, ne peut pas s’organiser en nations. Les dirigeants des grands pays le savent et cherchent alors à figer cette situation en obligeant tous les gouvernements de la région à signer des textes reconnaissant les droits fondamentaux de chaque individu, quelles que soient ses origines ethniques ou religieuses.
Toutefois, si la solution de la création d’États-nations porte à satisfaction diplomatiquement, puisqu’elle met fin aux empires et à leurs régimes moyenâgeux, sur un autre point, elle ouvre également la boite de Pandore des nationalismes, que les empires cherchaient justement à canaliser. Un empire survit grâce à un pouvoir autocratique, tandis qu’une nation obéit à une idéologie : le développement d’un État au service d’une ethnie. Paradoxalement, les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, qui veulent en finir avec les tensions ethniques, créent des conditions qui les multiplieront en permettant à un plus grand nombre d’ethnies d’avoir accès à la force militaire pour « libérer » des territoires.
Les démocraties européennes proposent alors de « dépassionner » les relations ethniques en affaiblissant l’autorité politique pour y installer en parallèle une autorité juridique : les Tribunaux Arbitraux Mixtes, qui sont des tribunaux ad-hoc créés pour une courte période non définie mais appréciée en fonction des circonstances par la Société des Nations. Ceux-ci doivent permettre de résoudre pacifiquement tout incident qui surviendrait entre deux États, voisins ou non, quelle que soit la nature du conflit. Le Tribunal Arbitral Mixte, s’il est appelé tribunal en français, devient Commission Arbitrale Mixte en anglais, ce qui installe dès le départ une différence d’interprétation. Il est composé de trois magistrats : un de chacun des États concernés et un d’une nationalité tierce, choisi parmi les pays réputés pour leur pacifisme ou leur neutralité, tels que les Pays-Bas, les pays scandinaves ou la Suisse. La plainte est présentée par celui qui porte réclamation et le Tribunal Arbitral Mixte donne une décision basée sur la coutume internationale et certains traités. Son jugement est obligatoire et sans appel. Aucun État membre de la Société des Nations ne peut refuser de se présenter devant les Tribunaux Arbitraux Mixtes, même si c’est pour plaider leur incompétence.
Les Tribunaux Arbitraux Mixtes n’ont pas spécifiquement été créés pour régler les problèmes de tensions ethniques, mais les traités les instituant leur en ont donné la compétence. Ils deviennent, avec le temps, une juridiction intervenant directement dans les affaires intérieures des nouvelles nations d’Europe centrale et ont par conséquent le privilège d’établir un début de jurisprudence internationale sur la question des droits des minorités, car ils ont jugé des affaires variées et récurrentes, prononçant des décisions répétées et complètes. Ces jurisprudences fournissent une base de premier plan pour le bon fonctionnement des législations nationales et pour l’écriture des nouveaux traités internationaux. La crédibilité de ces juridictions s’est construite sur le fait qu’elles sont composées des plus éminents juristes, à commencer par un des plus célèbres, Georges Scelle, professeur de droit français. Acteur engagé du pacifisme juridique international, il s’est imposé en tant que membre de la Commission du droit international des Nations unies.
La Seconde Guerre mondiale marque l’échec politique de la pacification des tensions ethniques à cause du développement des idéologies extrémistes, nationalistes et racistes. Toutefois, cet échec juridique n’est pas définitif. Les Tribunaux Arbitraux Mixtes ont condamné tous les États ayant violé les droits des minorités nationales, mais dans les faits, c’est le Conseil de la Société des Nations, rassemblement des grandes puissances du moment (à l’exception des États-Unis), qui a rendu caduc le travail des tribunaux.
La guerre froide gèle pendant cinquante ans une avancée significative du droit international en Europe centrale. La fin des régimes communistes se solde aussi par un échec pour résoudre les conflits ethniques en substituant le nationalisme au communisme. Le génocide rwandais donne l’opportunité à l’Organisation des Nations unies de relancer le développement de la justice internationale. De nouveaux tribunaux ad-hoc sont créés mais pour juger pénalement des gouvernants. Une étape est franchie, puisque le Tribunal Arbitral Mixte était un tribunal de droit civil. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, puis le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie ont pour objectif de juger les crimes de génocide ou les crimes contre l’Humanité. Tout comme les Tribunaux Arbitraux Mixtes, les Tribunaux pénaux internationaux n’ont pas pour but de s’occuper stricto-sensu des minorités nationales. Toutefois, dans les faits, ils se sont occupés des tutsis et hutus, serbes, croates, bosniaques et kosovars pour leur appartenance ethnique.
Il est possible d’établir que les Tribunaux Arbitraux Mixtes et Tribunaux pénaux internationaux ont grandement influencé l’évolution du droit international dans le domaine de la protection des minorités et dans une certaine démocratisation des législations et des politiques nationales. De plus, un élément important sert de fil rouge à ce travail scientifique, c’est qu’un pays, un seul : la Yougoslavie, s’est retrouvée confrontée à ces deux juridictions justement pour des affaires liées aux mauvais traitements des minorités nationales.
L’existence de deux juridictions (les Tribunaux Arbitraux Mixtes et les Tribunaux pénaux internationaux, sous la tutelle des deux organisations internationales du XXe siècle : la Société des Nations et l’Organisation des Nations unies) et l’inculpation d’un même pays permet pour la première fois de faire une synthèse basée sur des cas pratiques et l’évolution de toute une série de thèmes du droit international qui gravite autour de la protection des minorités. La Yougoslavie est un État multiethnique créé en 1919. Immédiatement, les Serbes, qui représentent la principale communauté ethnique, tentent de « purifier » une grande partie du pays en opérant, dès la fin du premier conflit mondial, une réforme agraire radicale visant à ruiner et à expulser les Magyars et les Allemands. Dans les années 1990, le président yougoslave Milosevic décide d’employer des méthodes plus brutales : il ordonne et laisse faire des génocides contre les populations musulmanes notamment (les Bosniaques et les Kosovars). Le Tribunal Arbitral Mixte yougoslavo-hongrois est saisi par les Magyars pour qu’il décrète la fin des réformes agraires au nom de l’article 250 du traité de paix signé entre la Serbie-Croatie-Slovénie (Yougoslavie) et la Hongrie, qui interdit, pour quelque raison que ce soit, l’atteinte aux biens des Magyars. Le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie est créé par le Conseil de Sécurité des Nations unies pour juger tous les leaders de la Yougoslavie qui ont participé à l’épuration ethnique dans les années 1990. A travers ces deux procédures, il est possible de voir l’évolution concrète de la protection internationale des droits de l’Homme concernant les minorités ethniques. Cette recherche souhaite démontrer comment les travaux du Tribunal Arbitral Mixte et du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie ont servi de vecteur pour la création d’une cour universelle afin de protéger les minorités de par le monde.
Un autre point qui se trouve en filigrane de cette recherche est l’étude de la nature, la structure et la doctrine de ce nouveau droit international. Celui-ci se scinde en deux tendances : écrit, représenté par la France, et jurisprudentiel, représenté par les pays anglo-saxons. Le droit écrit a l’avantage d’être prévisible, tandis que le droit jurisprudentiel dépend souvent de la personnalité du juge et crée une instabilité à redouter. Depuis la révolution industrielle, la France a toujours cru qu’en parallèle d’une mondialisation politique et économique, on verrait la naissance d’un régime juridique parallèle. L’émergence de nouveaux États sur les cendres des empires (les empires européens en 1918 et les empires coloniaux après 1960) laissait entrevoir un gigantesque chantier de construction de droits nationaux, constitutionnels et internationaux dont aurait pu profiter la France pour substituer à sa puissance politique déclinante sa puissance juridique.
L’influence française sur le droit international s’exerce à trois niveaux : le droit organique (au service de l’État), la philosophie du droit et les militants pour la reconnaissance du droit international. Certains principes généraux du droit international contemporain, à commencer par les droits de l’Homme et le droit des peuples à s’autodéterminer, proviennent directement de concepts français, développés dans la philosophie des Lumières, à l’occasion de la Révolution de 1789 et dans le droit napoléonien. Le droit administratif français est à la base du fonctionnement structurel des institutions internationales. Le siège de la France au Conseil de Sécurité des Nations unies à New York n’a pas l’utilité essentielle que l’on croit de bloquer par son droit de véto certaines sanctions internationales. Ce siège fait d’abord du français une des langues officielles des institutions internationales et permet donc au droit français de jouer le rôle, avec le Common law, de pavillon à l’évolution de cette mondialisation politico-juridique.
Les Tribunaux pénaux internationaux puis la Cour pénale internationale seront une opportunité pour la France d’imposer une sorte de « soft power juridique » de premier plan, car, lors de la négociation du statut de la Cour pénale internationale notamment, les États-Unis, la Russie et la Chine déclarent s’opposer aux discussions. La France a l’occasion d’affirmer son leadership et d’influencer la première juridiction internationale à vocation universelle. C’est la France qui définit les crimes entrant dans le domaine de compétence de la Cour. Les crimes de génocide et contre l’humanité sont le cœur des procédures, mais les crimes de guerre en sont écartés, car la France craint que ses propres interventions militaires répondent à ces catégories. Toutefois, une autre raison importe plus pour comprendre le chemin que prend le droit international. Chaque gouvernement sait que la Cour risque, comme les Nations unies, d’être paralysée par les grandes puissances. La seule façon de contourner cette paralysie serait que les crimes jugés soient si graves qu’ils amènent même les membres permanents du Conseil de sécurité à considérer la possibilité de saisir la Cour. De même, la France essaye d’équilibrer son relatif déclin militaire face à de plus grandes puissances en s’affirmant comme un des leaders dans les droits de l’Homme et dans la pacification des régions en guerre. La Cour pénale lui donne cette opportunité, la plaçant à l’origine de la création en son sein et de la gestion du Fonds pour les victimes, dirigé de 2004 à 2009 par une Française emblématique : Simone Veil. Ce Fonds a notamment financé un hôpital en Afrique, dirigé par le prix Nobel de la paix Denis Mukwege.
Les guerres de Yougoslavie ont marqué les esprits, car elles ont été un des premiers évènements largement diffusés sur un nouveau média : les chaines d’information en continu. L’avalanche de mots répétés toute la journée et le choc des images ont stimulé l’inconscient collectif de cette époque et ont fondé les critères d’une émotivité commune à tendance universelle.
La bibliographie francophone et les recherches au sujet de la Yougoslavie concernent essentiellement les conflits et les impacts géopolitiques. Les ouvrages documentés (des livres académiques ou journalistiques) se multiplient, comme ceux de Michel Roux, Paul Garde, Jacques Rupnik, Catherine Samary ou Midhat Begin. La particularité de ces livres est qu’ils sont très engagés, parfois trop, car contemporains des évènements. Les auteurs ont d’abord voulu décrire les souffrances des communautés minoritaires, mais l’ouverture de ce sujet au droit international peut ouvrir vers une réflexion plus neutre. Une bibliographie étoffée examine le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie, tant sous la forme d’articles de revue que de livres académiques. Les auteurs se montrent très critiques vis-à-vis d’un tribunal dont l’opinion publique attendait beaucoup. Toutefois, les avancées dans le droit pénal international sont soulignées et démontrent que face à la force politique et militaire, il existe désormais la force du droit international. Les interventions diplomatiques et, plus encore, militaires sont visibles et perceptibles, tandis que le droit s’insinue progressivement dans les relations internationales. Le temps politique (et médiatique) n’est pas le temps juridique. A une époque où tout va vite, le droit international avance à son rythme, laissant l’opinion publique devant ses frustrations. Toutefois, le droit international est en train de modifier les fondements de nos civilisations et de nos relations humaines.
Des romans ont fait leur apparition, soit écrits directement en français, soit des traductions, dans le but de faire connaître l’identité et la culture des peuples issus de la Yougoslavie. Ivo Andric, bosniaque, a obtenu le prix Nobel de littérature en 1961 et symbolise toute la complexité du contexte yougoslave. Croate de Bosnie, il se déclare serbe et fait une carrière de diplomate. Coincé au milieu de toutes ces racines, ses romans sont fortement influencés par la littérature française, car il y propose une réflexion sur ces thèmes : la complexité de l'homme, l'âme et les états d'âme, les passions, la mélancolie, le bonheur et le malheur, le vice et la vertu, la justice et la liberté, la religion, la littérature et l'art. Dans son roman Signes au bord du chemin, Ivo Andric parle de « conscience douloureuse », ce qui constitue une référence directe à la « conscience tragique » présente le long de l'œuvre de Pascal et dans toute la littérature française du XVIIe siècle. L’écrivain cherche surtout les tendances communes qui lient les hommes d’espaces et d’époques éloignés, en fait une tendance universelle qui lie les littératures et les civilisations humaines qu’interroge pour lui la littérature française.
Cette recherche est donc une histoire qui voit l’Europe se situer d’abord au cœur des deux conflits mondiaux. Le monde tel que vendu par l’Europe ne semble plus exister. Les droits de l’Homme, la philosophie, les arts, la littérature, le christianisme… ne suffisent plus à convaincre face aux déflagrations militaires toujours plus meurtrières. L’Europe génocidaire de la Seconde Guerre mondiale et libérée (en partie d’elle-même) par les Américains et les Russes peut-elle prétendre représenter encore un leadership ? La guerre froide va faire entrer dans l’équilibre de la terreur, dans l’impossibilité des guerres entre alliances militaires possédant l’arme nucléaire. Un autre monde émerge : celui de la codification d’un droit international qui sera capable d’empêcher l’anéantissement de l’humanité. Ce droit international est juridique, politique, historique, philosophique et même à un certain niveau utopique, mais il replace l’Europe comme aiguillon d’un modèle de modernité civilisationnelle. Dans cette Europe, la France, auteur des droits de l’Homme, va occuper une place centrale. La Yougoslavie, créée sur les débris des empires régionaux, orchestrée par la France et sans réel programme politique fédérateur des Yougoslaves eux-mêmes, va devenir le laboratoire de ce changement d’époque, du basculement du tout politique vers le politico-juridique.
Comment, à travers les guerres de Yougoslavie, la France a-t-elle influencé la constitution d’un droit international et la création des juridictions internationales ?
Traditionnellement, la littérature juridique souligne l’influence grandissante des États-Unis sur la formation du droit international, mais il semble qu’il existe un malentendu historique majeur : la puissance militaire hégémonique américaine s’est toujours tenue à l’écart de tout contrôle supranational, ce qui l’a empêchée de pleinement contribuer à son articulation. Par contre, la France, puissance en déclin au XXe siècle, y a vu un moyen de continuer à jouer un rôle de premier plan. Héritière du droit romain qui a su planifier les relations politiques et commerciales du plus grand empire antique, elle avait, grâce à son droit, un atout majeur qu’elle entendait jouer. Il faut reconnaître que la France des dernières décennies a privilégié la philosophie du droit, les grands combats sur la démocratie, l’égalité ou la liberté, plutôt que le droit écrit. Toutefois, l’émergence de la Chine sur le devant de la scène internationale est une opportunité pour la France, car la première possède également un droit écrit, proche sur sa forme du droit romain. Jean Escarra (1885-1955), professeur sinophone de Paris VIII, fut d’ailleurs mandaté par Tchang Kaï-chek pour faire un état des lieux du droit chinois et pour faire des propositions en s’inspirant notamment du droit français. Il est à noter que la Chine a commencé sa révolution juridique au même moment que le droit international a pris son envol. Elle constituera une étape majeure pour le futur, et ce sera dans le droit écrit, de style français.
Afin d’accéder aux sources les plus utiles et les plus complémentaires, nous aurons recours aux livres et revues du domaine (essentiellement en histoire et en droit) et nous traiterons des archives de journaux, de juridictions internationales et de documents diplomatiques des époques concernées. Ces sources directes permettent notamment d’avoir un point de vue plus proche du terrain. Les archives constituent la porte d'entrée privilégiée des historiens pour accéder aux informations qui ont marqué certains évènements. Cette recherche se situe à la croisée entre l’histoire et le droit international. La construction d’un droit, quelle que soit sa nature, est intimement liée à son évolution historique et aux sociétés dans lesquelles il a vocation à s’appliquer. On ne parle pas suffisamment de l’influence philosophique et civilisationnelle qui oriente la forme et la doctrine du droit vers des objectifs à atteindre, qui changent selon les sphères géographiques et les rayonnements religieux et culturels. Quand le droit, subitement, a vocation à devenir international et universel, le conflit devient inévitable entre les différentes philosophies du droit. L’histoire explique donc le droit en présentant les provenances, les étapes politico-juridiques et les mutations dont nous héritons et que nous avons beaucoup de mal à définir, ce qui amène de nombreux raccourcis et contresens. Enfin, l’histoire décrit la façon dont le droit construit son contenu fonctionnel, sa place sociale et son autorité. Les sources (coutume, loi, jurisprudence, doctrine), surtout les archives, jouent un rôle majeur et sont en tant que telles un champ d’étude et une structure autonome.
La méthodologie de cette histoire du droit est chronothématique, suivant dans le temps les évènements historiques qui permettent de faire évoluer dans un sens ou un autre le droit international. De même, des thématiques sont mises en avant tant dans l’histoire, comme les deux guerres mondiales et leurs conséquences ou les relations diplomatiques contemporaines dans le cadre des nouvelles institutions internationales (Société des Nations et Organisation des Nations unies), que dans le droit, comme le droit coutumier ou le droit pénal international. Bien évidemment, l’histoire du droit international est ponctuée tantôt par des révolutions, tantôt par des ruptures qu’il va convenir d’expliquer. Le droit reste donc toujours profondément ancré dans les communautés humaines et dans l’Humanité en général, incorporé à l’intérieur des sciences humaines qui le contextualisent, l’endoctrinent et le promeuvent. Le droit n’est en aucun cas un simple outil qui fonctionne mécaniquement.
Cette recherche comporte plusieurs étapes. Tout d’abord, nous verrons l’histoire de la Yougoslavie sous l’angle de l’évolution du droit international. La tentative d’instaurer un État fédéral rassemblant les Slaves de la région se heurte à des tensions locales millénaires. La France qui parraine ce nouvel État estime que la tutelle supranationale juridique et politique de la Société des Nations devrait garantir la paix et la stabilité. La lutte entre le droit et la politique pour imposer la paix s’intensifie au fil des siècles. Alors que les interventions politiques et militaires ponctuent, souvent avec fracas, les grands évènements, le droit international tisse patiemment et discrètement (peut être trop) sa toile.
Nous verrons ensuite comment le droit international a évolué avec pour but de protéger les libertés individuelles et collectives. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux personnes appartenant aux communautés minoritaires, car elles sont les principales victimes des crimes de guerre et contre l’humanité commis durant ces derniers siècles. Elles sont aussi à la source des deux guerres mondiales (les minorités slaves en 1914 et les minorités allemandes en 1939). Le défi est d’associer la coopération des grandes puissances militaires à un maillage juridique efficace afin d’obliger les gouvernements nationaux à garantir la sécurité des minorités, ainsi que la protection de leur identité linguistique, culturelle et religieuse.
Dans une autre étape, nous verrons l’établissement des juridictions internationales qui, tout au long du XXe siècle, ont pris de l’importance. La littérature politique aime parler de leurs échecs, mais souvent parce que leurs actions en font des empêcheurs de tourner en rond. Elles ne facilitent pas les décisions des gouvernants, notamment entre 1900 et 1950, quand les grandes puissances sont pointées du doigt pour les risques et les conséquences des guerres mondiales. Toutefois, c’est dans cette apogée des nationalismes que va se développer en parallèle un droit et des juridictions internationales. Dans un monde, ou plutôt un modèle civilisationnel occidental, qui semble s’effondrer émergent de grands juristes qui vont bouleverser les relations internationales. La France présente de célèbres juristes qui eurent une influence considérable. René Cassin (1887-1976) représente probablement l’emblème des juristes français dans le monde. Il fut président de la Commission des droits de l’homme des Nations unies et fut surtout l’artisan de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pour entrer plus précisément dans le sujet de cette recherche, mentionnons un des grands précurseurs, Emer de Vattel (1714-1767), qui marqua durablement son temps en dissociant le droit et la politique pour préférer l’association droit et philosophie. Pour ce juriste, le droit ne doit pas servir les institutions et les individus en premier lieu, mais chercher la vérité. Un débat nait alors sur la forme et la doctrine de ce nouveau droit international. Henri Berthélemy (1857-1943) va apporter une contribution essentielle en faisant une étude comparée entre le droit français et le droit anglais. Le chef de file des juristes anglais, Albert Venn Dicey (1835-1922), s’insurge en disant que le droit administratif n’existe pas en Angleterre. Les juristes français ont certainement poussé les Anglais à commettre cette erreur de communication d’annoncer que leur droit n’était pas écrit, ce qui le rend peu adapté à la codification d’un droit international. Derrière ce qui pourrait presque apparaître comme une anecdote s’affiche la lutte pour la nature de ce qui devait devenir le droit international. Cette recherche mentionne un grand nombre de juristes français qui vont tenter d’infléchir ce nouveau droit international, plus par leur pratique que par leur promotion publique. En effet, ces juristes étant internationalistes, ils se sont souvent montrés relativement pragmatiques.
Dans une dernière étape, nous verrons comment les juridictions internationales sont progressivement passées d’un simple arbitrage à un tribunal de plein droit. Nous pouvons établir l’existence d’une évolution à travers le temps, marquée par trois périodes historiques. Tout d’abord, la mise en place progressive d’un arbitrage international devait à la fois être le terreau des premiers grands juristes et permettre aux États d’accepter cette ingérence dans leurs affaires internes. Ensuite, après la Première Guerre mondiale, les traités de paix imposèrent la création des Tribunaux Arbitraux Mixtes, juridictions « révolutionnaires » qui, pour la première fois, surent faire respecter leur position à tous les gouvernements, y compris les plus puissants, au moins jusqu’à l’émergence des régimes totalitaires. Enfin, après la Seconde Guerre mondiale, l’étape ultime concerne la création des tribunaux pénaux ad-hoc, puis de la Cour pénale internationale. Cette première juridiction universelle permanente est le résultat de ce siècle d’avancées. Son existence même change la vision des relations internationales. Dans le dernier conflit qui touche l’Europe, opposant la Russie à l’Ukraine, la Cour pénale internationale a ouvert une enquête. Le plus important dans cet exemple n’est pas la reconnaissance ou non de la Cour par la Russie, mais le fait que les experts de la Cour vont effectuer un travail de terrain qui va avoir une importance majeure quand le conflit sera terminé.
Dès le début, il convient de préciser que ce travail de recherche s’inscrit dans ce que Robert Badinter appelle la paix par le droit.
Le temps historique peut être envisagé selon deux approches : linéaire ou circulaire, amenant pour ceux qui défendent la première, notamment en Occident, une sortie de l’Histoire, tandis que les seconds croient à un retour en arrière et à une tectonique des failles du passé. L’implosion de la Yougoslavie et de l’URSS n’en finissent pas de provoquer des répli...